dimanche 10 janvier 2010

EXTRAITS Préface de "LA ROCHE ET LE TORRENT"

« Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ». (Camus)

Qu’est-ce que le haïku ? Le « haïku » est une forme poétique d’origine japonaise de trois vers, au rythme de 5/7/5 (dix-sept syllabes) dont les racines descendent jusqu’au XVIIe siècle. Au fil des siècles, elle a été traversée par les courants du bouddhisme et du zen. On considère le Japonais Matsuo Munefusa, dit Bashô, (1644-1694) comme le père fondateur du haïkaï–renga, poème composé de deux versets de 5/7/5 et de 7/7 syllabes. Le premier de ces versets, extrait de l’ensemble, deviendra le haïku. Ce changement est dû à l’initiative du poète Shiki (1867-1902).

Voici quelques points de vue sur le haïku qui l’éclairent sous divers angles.

Le haïku, montre “simplement ce qui arrive en tel lieu, en tel moment ". (Bashô). Selon Natsumé Soseki (1867-1916)« le haïku (…) est un univers radiant à partir d‘un point focal, comme le rivet d’un éventail qui permet de tenir ensemble toutes ses branches. »

Akiyama Yutaka, éditeur de Soseki, nous dit : « Le haïku est un art qui abhorre l’expression directe du sentiment. » Et Maurice Coyaud : « Je n’aime pas que l’Occident attire (les haïkus) dans ses filets de métaphores et de syllogismes (…) surcharge symbolique où les haïkus perdent le meilleur d’eux-mêmes : cette faculté de se situer naturellement en deçà de la littérature ». Dans leur anthologie Corinne , Atlan et Zéno Bianu disent : « Cet art de suggérer un état intérieur sans le décrire –yûgen-- est précisément considéré au Japon comme l’essence même de la poésie. »

Enfin, Roland Barthes, dans l’empire des Signes : « La brièveté du haïku n’est pas formelle. Le haïku n’est pas une pensée riche réduite à une forme brève, mais un évènement bref qui trouve d’un coup sa forme juste ». Plus loin il écrit que le haïku est « réveil devant le fait « . Et encore, qu’il « rompt l’infini vicieux du langage ».

Enfin « haïku (le trait) reproduit le geste désignateur du petit enfant qui montre du doigt quoi que ce soit (…) en disant seulement « ça ».

Exemption de sens... Conçu avec une grande économie de moyens, le haïku est une forme poétique qui délivre une image, ou un fait, de sa gangue de banalité. Une image écrite mais non décrite. Un évènement non commenté. Un fait brut. Une expression urgente. Le haïku ne donne pas à penser, mais à voir. Il dit ce qu’il voit. Et il le dit simplement. Pas de sens voilé. Pas de message subliminal. Pas de trésor caché. Pas de mystère à élucider. Pas d’état d’âme. Le haïku montre. IL ne démontre pas. Un éclat de lumière sur l’éphémère. C’est tout. Le haïku est la roche émergente qui, accrochant l’eau du torrent, lui dit simplement qu’elle est pierre. Et, aussi simplement, l’eau lui répond qu’elle est eau. Et cela, indéfiniment.

À chacun sa lecture ... Si l’exemption de sens pèse au lecteur, celui-ci est libre d’en trouver un. Le haïku, offre une image, à la fois la même pour tous et différente pour chacun. Le bonheur de qui lit (si l’écrit offre le cadeau du bonheur), est de voir en fonction de son angle de perception, de vibrer en suivant sa propre sensibilité et, pourquoi pas, d’interpréter. Ce que le haïku contient d’émotion, (toute réalité en est porteuse) est à saisir par le lecteur, indépendamment de l’auteur. Le haïku est un compagnon de marche, pas un guide. Bonheur d’une promenade sans fin préétablie. Chaque pas étant le but. Deux ou trois mots, dix-sept syllabes, un pas.

L’abstraction est un vice …Sur le terrain de l’impensable, le haïku tente l’approche de l’instant. Il ne le cherche pas. Il se révèle à lui, parce qu'il est attentif à sa venue possible. Lorsque le présent advient, pour l'exprimer au mieux, il se lance, dans une traque sans merci à la verbosité. Passant par la sente étroite qui chemine entre langage vain et non-dit perceptible, il « prend le temps de faire bref ».

Dire pour ne pas parler.... Chacun sait bien que relater les faits platement ne présente aucun intérêt : ni l’intelligence, ni le cœur ne sont requis. À l’inverse, trop de sophistication, et c’est l’engluement dans l’artifice parasitaire. Le minimalisme du Haïku, entre prégnance et déprise, tente de dire le mieux avec le moins. Le haïku dit pour ne pas parler.

Se faire oublier pour mieux regarder...

C'est le regard qui, posé sur les choses leur donne vie, mais qui, les effleurant, peut les anéantir. C'est le regard qui donne son âme à la matière ou qui définitivement la chosifie. Qui regarde ne doit pas être vu. Faute de quoi ce que l'on voit n'a plus rien à voir avec le réel à voir. Voir ne doit donc pas être volonté, mais laisser-aller. Oubli de soi et discrétion absolue.

Oublier pour mieux voir... Il ne faut pas laisser souvenirs et références parasiter le regard. Notre attention doit être vierge. Pour bien voir et bien entendre, l’oubli est plus utile que la mémoire.

Pour illustrer ce paradoxe voici un haïku de Wafû. :

« Pour écouter les humains

Pour écouter les insectes

Nous ne mettons pas les mêmes oreilles. »

Ou encore : « Après chaque regard, il faut se laver les yeux.»

( Mizoguchi).

À propos du mot-saison (kigo)... Le haïku s’ancre dans le temps qui passe, symbolisé par les saisons. Il exprime donc un fait particulier situé dans un cadre général. Ce cadre général (la saison) peut être explicitement indiqué ou seulement évoqué. L’intemporalité sert de toile de fond au présent mis en évidence.

Au terme de ce détour introductif, voici deux citations qui expriment bien la difficulté de la poésie sans poésie, du langage sans langage : « Comme il est admirable, celui qui ne pense pas : « La vie est éphémère,» en voyant un éclair. (Bashô)

À qui lui demande « Qu’est ce que la Voie ? » Yo-Chan (745-828) répond simplement : « Les nuages sont dans le ciel et l’eau dans la cruche »

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